Discours Catechetique en Ouverture du Saint et Grand Careme (2018)
DISCOURS CATÉCHÉTIQUE
EN OUVERTURE DU SAINT ET GRAND CARÊME
† BARTHOLOMAIOS
PAR LA GRÂCE DE DIEU
ARCHEVÊQUE DE CONSTANTINOPLE – NOUVELLE ROME
ET PATRIARCHE ŒCUMÉNIQUE
QUE LA GRÂCE ET LA PAIX DE NOTRE SEIGNEUR ET SAUVEUR JÉSUS CHRIST,
AINSI QUE NOTRE PRIÈRE, BÉNÉDICTION ET ABSOLUTION
SOIENT AVEC TOUT LE PLÉRÔME DE L’ÉGLISE
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Nous adressons une louange de remerciement au Dieu dans la Trinité qui nous a permis de parvenir encore une fois au saint et grand Carême pour nous engager dans le bon combat de l’ascèse, nous tourner vers la seule chose «qui est nécessaire» (cf. Lc 10, 42).
Dans un monde hostile à l’ascèse, face à la désacralisation contemporaine de la vie et à la domination de modèles individualistes et eudémonistes, l’Église orthodoxe persiste dans la période de quarante jours consacrés aux luttes spirituelles et à la «tempérance toute sacrée» pour que ses enfants se préparent à la semaine sainte, à la Passion et la Croix du Christ, pour être en mesure de contempler Sa glorieuse résurrection et y participer.
Durant le grand Carême, nous sommes appelés à vivre plus profondément l’économie créatrice et salvatrice du Dieu Trinitaire ; à participer plus clairement à la référence, la direction et l’élan eschatologique de la vie ecclésiale et spirituelle. Nous prenons conscience de l’impasse tragique que constitue l’arrogance auto-salvatrice du pharisien, la dureté de cœur du fils aîné dans la parabole du Fils prodigue, l’indifférence endurcie devant la faim, la soif, le dénuement, la maladie, l’abandon de notre semblable, selon le récit évangélique du jugement dernier. Nous exhortons à imiter le repentir et l’humilité du publicain, le retour du fils prodigue dans la maison du Père et la confiance placée en Sa grâce ; à imiter les miséricordieux envers les nécessiteux, la vie de prière de Grégoire Palamas, l’ascèse de Jean le Sinaïte et de Marie l’Égyptienne, afin que, renforcés par la vénération des saintes icônes et de la vénérable Croix, nous allions à la rencontre personnelle avec le Christ ressuscité du tombeau qui est dispensateur de vie.
Le caractère communautaire et social de la vie spirituelle est particulièrement révélé durant cette période bénie. Nous ne sommes pas seuls, nous ne nous tenons pas seuls devant Dieu. Nous ne sommes pas une somme d’individus, mais une communion de personnes pour lesquelles «être» signifie «être ensemble». L’ascèse n’est pas un accomplissement individuel, mais un fait ecclésial. Pour le croyant, c’est participer au mystère et aux sacrements de l’Église, lutter contre l’égoïsme, pratiquer la philanthropie, user de la création de manière eucharistique, contribuer à la transfiguration du monde. C’est une liberté, une vertu, un bien, une obéissance à la règle de l’Église que nous partageons tous. Nous ne jeûnons pas suivant notre désir individuel, mais suivant ce que l’Église prescrit. Notre effort ascétique s’inscrit dans le cadre de nos relations avec les autres membres du corps ecclésial, en tant que participation aux faits et aux actes qui constituent l’Église en tant que communauté de vie, confessant «la vérité dans l’amour» (cf. Ep 4, 15). La spiritualité orthodoxe est indissociable de la participation à la vie de l’Église culminant dans la divine Eucharistie ; c’est une foi qui se nourrit de l’Église et qui a une dimension ecclésiale.
L’arène du grand Carême n’est pas une période d’exaltations psychiques d’origine religieuse ni d’émotions superficielles. Du point de vue orthodoxe, la spiritualité ne signifie pas se tourner vers l’esprit et l’âme qui serait nourrie d’un mépris dualiste pour la matière et le corps. La spiritualité signifie que toute notre existence, notre esprit, notre intelligence et notre volonté, notre âme et notre corps, toute notre vie, sont imprégnés de l’Esprit Saint qui est esprit de communion. En conséquence, spiritualité signifie ecclésialiser notre vie, mener une vie inspirée et guidée par le Paraclet. C’est être réellement porteur d’esprit ; ce qui présuppose de notre part, coopérer librement, participer à la vie sacramentelle de l’Église et mener une vie en Dieu.
Vénérables frères et enfants bien-aimés dans le Seigneur,
Il n’y a pas de spiritualité authentique qui soit en même temps infructueuse. Celui qui aime vraiment Dieu, aime aussi son prochain, ainsi que celui qui se tient à l’écart ; il aime toute la création. Cet amour sacrificiel qui «ne disparaît jamais» (cf. I Co 13, 8) c’est acte eucharistique, accomplissement de vie ici-bas, avant-goût et vérité des fins dernières. Notre foi orthodoxe est source d’un dynamisme intarissable, d’aptitude aux luttes spirituelles, d’action en ami de Dieu et de l’être humain, d’abondante fructification du bien dans le monde. Dans l’Église, foi et amour constituent une expérience de vie une et infrangible. Le fait de vivre l’ascèse, le jeûne et la philanthropie dans la communion sainte et spirituelle de l’Église empêche de verser dans le religionisme, de transformer la foi s’inscrivant dans l’Église en introversion stérile et en performance individuelle.
L’Esprit de Dieu souffle sans cesse dans l’Église, Dieu est toujours « avec nous ». Durant les saints jours du Grand Carême, nous sommes appelés à intensifier le combat spirituel contre l’égoïsme, «persévérants dans la prière» (Rm 12, 12), «vivant dans l’humilité et faisant miséricorde» (Abbé Pimène), vivant de façon philocalique et compatissante, pardonnant les uns aux autres, s’aimant les uns les autres, rendant gloire au Dieu dispensateur de tout bien et Le remerciant de ses riches dons. «voici maintenant le temps favorable, voici maintenant le jour du salut» (II Co 6, 2).
Sur ce, invoquant le soutien d’en haut pour accueillir le saint et grand Carême dans un désir fervent et joyeux, souhaitant «de courir facilement le stade du jeûne», nous donnons aux vénérables frères en Christ et aux bien-aimés enfants de la sainte Grande Église du Christ partout dans le monde notre bénédiction patriarcale.
Saint et Grand Carême 2018
† Bartholomaios de Constantinople
fervent intercesseur devant Dieu de vous tous.