Pâques pour la vie du monde (Jean 6 : 51), Rencontre de la jeunesse orthodoxe en Belgique, 1 mai 2020
Protopresbytre du Trône Œcuménique Dominique Verbeke
Le Christ est ressuscité !
PAQUES POUR LA VIE… du monde
D’un amour sans fin et inépuisable pour sa création, le Seigneur fait tout « pour la vie du monde », pour une vie originale et vraie, pour une vie dans la Vérité de la Toute Sainte Trinité vivifiante.
Pâques est donc un processus de passage de la vie à une vie encore plus complète, un processus comme passage comme la traversée de la mer Rouge par Moïse avec son peuple. « Passage » est le sens du mot Pâques ou Pascha, qui vient de l’hébreu « Pesach ».
Tout ce que le Seigneur fait est « pour la vie du monde ». Si le Seigneur fait cela, c’est pour la vie éternelle, libre de restrictions, d’inhibitions, de faiblesses, d’échecs ; libre d’anxiété, de doute et de désespoir. Ce don du Fils Jésus à l’homme et au monde est un don que nous recevons du Père ; en d’autres termes, c’est un don, une grâce, un « χάριςμα » en grec et cela vient du verbe « χαρίςομαι » qui signifie autant que d’avoir de la bienveillance, de donner par amour, de donner par affection et cela revient au mot « χαρά » qui signifie « joie ».
Les fruits de cette grâce sont la paix et l’humilité, la bienveillance, la reconnaissance, et donc la joie. Ainsi, la grâce n’est pas seulement un don, mais aussi une grande aide. Cette aide, c’est le Christ lui-même et elle est la bienvenue chez l’homme qui est dans le besoin à la recherche d’aide.
Un cadeau est toujours quelque chose que nous recevons gratuitement, que nous recevons librement, sans que l’homme ne réalise ou ne soit conscient qu’il a besoin de cette grâce.
Ce don, cette grâce est le Corps ressuscité de notre Seigneur Jésus-Christ, Lui la plénitude de la vie. Ce don nous montre la singularité incompréhensible de ce qui est possible pour l’homme et auquel nous sommes appelés. Il nous montre la singularité incompréhensible de la transcendance ou du dépassement de l’humain vers le ce qui dépasse l’humain, vers le divin. Notre vie personnelle est devenue l’histoire et la cause de Dieu.
Concrètement, il s’agit de se libérer de toutes les formes de mort, d’injustice, de servitude, d’esclavage ; et avant tout de se libérer de soi-même. C’est une révolution intérieure, la seule véritable révolution de conversion selon les paroles du grand Patriarche Athénagoras.
Cette révolution intérieure est en soi un témoignage du bon et joyeux message d’être chrétien. Nous communiquons ainsi au monde une foi vivante, exempte de dogmes et d’interdits. Nous communiquons une expérience spirituelle, intérieure, d’une conscience intime de Dieu, d’une vie « autre », d’une naissance en déification ou transfiguration, d’une ascension vers le dépassement de soi. C’est notre contribution en ce temps de Pâques « pour la vie du monde », une contribution dans la joie festive et la sainteté.
Cette tâche est suffisante pour une vie entière, et que nous aussi, en premier, nous en prenons conscience que nous mourons afin de naître dans ce Corps Ressuscité.
Mais aujourd’hui, l’homme et le monde sont comme Job, il y a environ deux mille cinq cents ans. Une force invisible nous fait nous agenouiller et s’abat sur nous comme un tsunami. Au milieu de cette tempête, nous attendons la grâce comme aide de l’homme et de la science, éclairés par le Maître Indicible de l’Univers, le Dieu de la Sagesse.
Nous savons que, comme Job, nous ne devons pas attendre de réponse. Sa réponse à Job consiste à ne pas répondre et ce afin de sauver Job, et donc nous aussi, de la tentation de Le juger ou d’argumenter avec Lui. Nous sommes souvent enclins à attribuer à Dieu de petits traits et caractéristiques humains afin de nous rendre compréhensible ce qui est incompréhensible.
Comme Job, nous savons que Dieu ne laisse personne derrière lui et c’est l’objet de notre prière « pour la vie du monde ». L’homme doit rester ferme dans sa foi, même lorsque son esprit ne trouve pas la paix, comme les femmes Marthe et Marie lors de la maladie et de la mort de leur frère Lazare. Mais le Christ Dieu est plein de grâce envers Lazare, dont le nom ne signifie rien d’autre que « Dieu est venu à l’aide ».
Pâques pour la vie… DU MONDE
Que veut dire l’évangéliste Jean par « du monde » – « cosmos » dans le texte grec (Jean 6 : 51). Ici, le monde n’est pas d’abord et avant tout synonyme d’univers. Cela ne signifie pas non plus la demeure de l’humanité ou « l’œcoumène », le monde habité par l’homme, ou le théâtre de l’histoire du monde entier, un monde aliéné de son Créateur et Seigneur.
Non, le cosmos signifie ici la mise en scène du spectacle du salut. Il devient clair que dans le sens de l’humanité, le cosmos va acquérir une signification particulière ; à savoir en relation avec le Dieu vivant, le monde vu comme la création de Dieu. L’histoire du monde deviendra une histoire de salut, une histoire de salut du monde entier, de tous les hommes et de tous les peuples, de « tous les habitants de la terre » (Marc 26 : 13).
C’est le message joyeux, « l’évangile », un message de salut pour tous et chacun. C’est un message universel, aujourd’hui nous utiliserions le terme de message « global ». Le monde apparaît maintenant sous un jour totalement nouveau : le monde est le lieu de l’histoire du salut en Christ. Car Il vient « pour la vie du monde » (Jean 6 : 33 et 6 : 51), non pour juger le monde, mais pour le sauver.
Mais comment ce message peut-il être transmis à l’homme d’aujourd’hui, à nos camarades de classe, à nos amis, à nos partenaires de vie, qui peuvent ou non y croire et le font souvent à leur manière ?
Il ne s’agit pas d’un message d’une Église qui abrite un passé intemporel et traditionaliste, protégé de la confrontation avec le monde. Ce n’est pas un message de défense contre l’environnement « séculier », réduit à une morale d’interdits, détaché du sens de la liberté et de la libération, détaché de la liturgie de l’Église comme expérience vivante de sa beauté céleste et de ses hymnes poétiques. Elle est le témoin d’une fête intérieure, d’un jeu de libération.
Nos relations sociales sont indéniablement les moments privilégiés pour en témoigner et sont peut-être le signe avant-coureur du rapprochement croissant des cultures avec leurs religions, leurs cultes et leurs visions du monde.
Apparemment, depuis la fin des années 60, les églises n’ont pas été en mesure de maintenir une communication vivante avec les jeunes et les moins jeunes. Cette communication consiste à donner la priorité au témoignage de l’expérience spirituelle, plutôt qu’à la proclamation de dogmes et de systèmes théologiques. Beaucoup, jeunes et moins jeunes, sont les enfants abandonnés du christianisme, ils sont comme des orphelins. Ils rejettent un passé dont ils ne savent rien ou presque.
La véritable communication trouve son origine au plus profond de nos cœurs, enracinée dans l’amour pour la société. Telle est notre mission : aimer librement, sans crainte ni angoisse pour les autres, aussi différents soient-ils dans leur foi, leur origine, leur statut ; en bref, dans leur être comme homme. Tout être humain est une exception à une règle qui n’existe pas, sauf celle selon laquelle tout être humain est créé à l’image pour la ressemblance avec Dieu.
La mondialisation en tant que phénomène social a ses maladies de l’enfance. L’une d’entre elles est la régression vers sa propre identité, que ce soit en tant que région, en tant que pays, en tant que religion. L’église devient un refuge. En attendant, prenez garde au fait que nous enfermons le Christ et son Évangile derrière les murs de notre religion et que nous fermons nos portes les uns aux autres – notamment à nos propres frères et sœurs en Christ – et au monde. La doctrine de l’Église devient une idéologie, souvent défensive du monde. La théologie ne conduit plus à une expérience intense du mystère de Pâques.
Le grand patriarche Athénagoras a dit à ce propos : « J’ai besoin de l’autre afin de prendre conscience de mon existence et de l’existence de Dieu. La conscience de mon identité passe par l’autre… ». C’est la base de la victoire sur mon propre ego.
C’est essentiel pour notre message au monde. Le message est d’écouter et d’entrer en dialogue et de renoncer à la primauté de sa propre identité ; cela exige l’ouverture de nos cœurs. Le dialogue, c’est le respect de l’autre.
L’homme moderne est comme un orphelin, n’ayant que des racines dans « l’espace-temps » dans lequel il vit. Il se sent souvent perdu dans l’univers du siècle historique des « Lumières ». Cela donne un sentiment diffus de peur et d’effroi et se termine par l’autodéfense et la méfiance.
Pendant ce temps, l’homme et la société se mondialisent et où nous situons-nous, en tant qu’Église du Dieu vivant, Église du Crucifié Aimant, pour cet homme et sa société ? La mondialisation passera-t-elle à côté de nos églises ? Le christianisme est devenu inconnu, incompris et souvent présenté comme une caricature. Nous ne devons pas prescrire de lois et de directives aux gens, mais leur rappeler le vrai sens de la vie.
Témoins d’une intériorité simple mais profonde qui apporte paix et lumière à la vie du monde. Témoins d’une Église riche de traditions et d’un passé impressionnant, source d’expériences, de pensées et de visions de millions de personnes, moines et moniales, hommes, femmes et enfants, artisans, hommes de lettres, artistes et scientifiques, qui sont passés avant nous dans cette vie. Le message essentiel est et reste qu’une vraie vie, qui touche au plus profond de notre expérience, est une vie relationnelle, c’est-à-dire une vie portée par l’autre et donc vécue pour l’autre. L’archétype de tout cela se trouve caché dans le modèle de la Sainte Trinité : être porté par un Père aimant et éternel, guidé et accompagné par son Fils Jésus-Christ tout sacrifice, fortifié et scellé par le Saint-Esprit, le Consolateur.
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Oeuvres consultees
“Theological Dictionary of the New Testament”, G. Kittel, Eerdmans publishing, vol. III “kosmos”, Michican1982
“Lexicon Nieuw Testament” J. Murre, Skandalon 2010
“Dostoïevski” Julia Kristeva, 2019
“Le Professeur et le Patriarche, Humanisme spirituel entre nationalismes et mondialisation” Andrea Riccardi, 2020