Interview de Son Éminence le Métropolite Athénagoras de Belgique et Exarque des Pays-Bas et du Luxembourg à l’occasion des 25 ans d’existence de la Paroisse de Bruges
Interview de Mme Anaïs Vathi
La paroisse orthodoxe des Saints Constantin et Hélène, sise au 85 de la rue Ezelstraat à Bruges est une paroisse de la juridiction de l’Archevêché de Belgique et Exarchat des Pays-Bas et du Luxembourg. Le but de sa création fut le souci d’insérer les fidèles orthodoxes de la région dans une vie liturgique locale, suivant la tradition de l’Église Orthodoxe. Les Pères de l’Église nous rappellent constamment que si nous voulons sauver notre âme, nous devons vivre une vie sacramentelle au sein de l’Église. L’Église Orthodoxe considère son activité comme une extension de la Divine Eucharistie, la « communion aux deux espèces» par excellence, au sens véritable du mot. D’où l’importance et la raison de la fondation de cette paroisse. Là est née une vie liturgique complète : Offices des Vêpres le samedi après-midi, Divine Liturgie le dimanche et les jours de fête. Des orthodoxes de toutes nationalités fréquentent la paroisse de Bruges : belges, grecs, russes, serbes, roumains, bulgares, géorgiens, polonais. Une paroisse cosmopolite qui accueille à bras ouverts tous les fidèles orthodoxes des environs de Bruges, Ostende, Blankenberge, Knokke, Torhout, et même de la province hollandaise de Zeeland. Parmi les fidèles, on trouve également une vingtaine d’étudiants orthodoxes du Collège d’Europe.
-Quand démarra la Paroisse Orthodoxe des Saints Constantin et Hélène de Bruges ? Qui a pris l’initiative de sa fondation ?
-Après l’intronisation du Métropolite Panteleimon en janvier 1983, une première tentative eut lieu de créer une paroisse à Bruges par feu mon père l’Archiprêtre Ignace, qui par deux fois avait célébré avec le Métropolite Pantéleimon dans une chapelle de cette belle ville de Bruges. Douze ans plus tard, j’ai pris l’initiative de créer une paroisse orthodoxe dans la ville. J’étais à l’époque Archidiacre de l’Archevêché et j’ai reçu l’autorisation de mon prédécesseur, le Métropolite Panteleimon de Belgique. Il n’y avait pas à l’époque de paroisse orthodoxe dans cette région. L’ouverture de la paroisse eut lieu à la fête des Saints Constantin et Hélène, en mai 1995, il y a exactement 25 ans.
-Depuis quand date la première apparition des chrétiens orthodoxes dans la région ?
-A l’époque, mon prédécesseur me disait : « Comment créer une paroisse à Bruges, alors qu’il n’y a pas d’orthodoxes dans la région ? ». Et je lui ai répondu : « Éminence, j’ai fait une liste avec tous les orthodoxes de la région ». Il y avait dans la région des grecs qui possédaient des restaurants à Bruges, Ostende, Blankenberge, Knokke, Torhout, et même en province hollandaise de Zeeland. De plus, dans un souci de localiser plus des orthodoxes, j’ai cherché dans le bottin téléphonique des noms qui ressemblaient à des noms orthodoxes. Je leur ai ensuite envoyé des invitations et petit à petit, le monde commença à arriver aux Offices que nous célébrions alors deux fois par mois.
-La paroisse a, au-delà des offices religieux programmés, également une activité pédagogique et politique. Pourriez-vous nous en toucher deux mots ?
-Le premier objectif de notre paroisse fut l’intégration des orthodoxes dans une vie clairement religieuse, c’est-à-dire une vie liturgique. Je dois vous dire que j’avais rencontré des grecs, mais aussi d’autres orthodoxes qui avaient perdu depuis des années l’habitude d’aller à l’église, parce qu’il n’y avait pas de paroisse. Pour eux, c’était difficile. Souvent, leurs enfants ne connaissaient rien de la religion orthodoxe, et c’était pour moi difficile, en tant que berger de cette paroisse, de conduire ce monde à s’intégrer dans une vie religieuse. Nous avions commencé au début quelques actions comme celle de la pastorale orthodoxe au sein du Collège d’Europe de Bruges. Nous organisions divers événements, nous les invitions aux Vêpres, offrions des repas, faisions en sorte qu’ils sentent qu’à Bruges existait un lieu pour les orthodoxes toujours ouvert et prêt à les accueillir. A Bruges, nous vivions toujours les plus belles Semaines Saintes et Fêtes de Pâques ; nous avions une vie culturelle intense. Nous avions la possibilité de mettre sur pied diverses soirées grecques avec deux objectifs, connaître le monde, l’élément grec et récolter de l’argent pour la gestion de notre paroisse. Nous avons également avec l’aide de quelques amis orthodoxes fait la quête pour l’acquisition d’objets liturgiques.
-Quelle est la langue de célébration des Offices ?
-Nous avons pris à l’époque comme exemple la paroisse de Gand qui avait été créée par mon père. Là nous officions en néerlandais, nous faisons donc de même à Bruges. Nous avions choisi le néerlandais car les grecs n’étaient pas nombreux dans les environs et nombre d’entre eux ne pouvaient venir aux Offices à cause de leur travail au restaurant avec des horaires très difficiles. Comme je l’ai dit, les célébrations se font en néerlandais, mais de temps en temps nous utilisons également d’autres langues comme le grec, le slavon, le roumain, le géorgien.
-La paroisse de Bruges est près des jeunes. Quelles sont les activités mises en place pour attirer la nouvelle génération auprès de l’église et donc auprès de Dieu ?
-Nous avons toujours souhaité que les jeunes puissent êtres des membres actifs. Dans les divers offices, nous chantons avec les jeunes afin qu’ils se sentent participants actifs au Sacrement. Nous chantons également dans diverses langues les hymnes byzantins avec la participation de diverses chorales, de manière à les rendre compréhensibles de tous, ce qui nous unit encore plus. Nous avons aussi de nombreux enfants de chœur qui, avec leurs beaux uniformes tantôt jaunes, tantôt verts, participent à l’Office. Des programmes de catéchèse ont été mis en place par des enseignants de la région. Au minimum une fois par mois, ces rencontres de catéchèse se déroulent de 14h à 18h, heure du début de l’Office des Vêpres. C’est une occasion d’apprendre à propos de la religion et des traditions : ce qui est important pour acquérir une plus forte identité orthodoxe. Nous vivons dans un environnement non orthodoxe et il est facile de dévier du chemin que doit suivre une personne de confession orthodoxe.
-Vous rappelez-vous d’exemples de belges qui se soient fait baptiser chrétiens orthodoxes ?
-Bien sûr, et c’est entre autres la mission de l’Église Orthodoxe de transmettre le message du Christ au monde entier et à toutes les nations, comme le dit l’Évangile de Matthieu. C’est une mission et nous avons une responsabilité : la responsabilité de partager cette richesse qu’est le christianisme. Le faire connaître dans le monde où nous vivons. Le message du christianisme doit se répandre dans une langue contemporaine et compréhensible; les paroisses donc accueillent les orthodoxes, toutes nationalités confondues, et essayent d’en constituer un seul corps. Un jour, un pasteur de l’Église Protestante qui était venu en visite à la Paroisse de Bruges, m’a dit: « Demain, nous fêtons la Fête de la Pentecôte, mais vous, c’est continuellement que vous la fêtez dans cette paroisse ». Nous avons ainsi une Pentecôte perpétuelle. Il y a une grande soif dans la société où nous vivons. La Belgique était un pays très catholique, mais aujourd’hui une grande indifférence s’est installée pour tout ce qui concerne l’élément religieux, car le monde ne s’intéresse plus désormais au spirituel. C’est la raison d’ailleurs qui explique le grand problème de la Belgique qui comptabilise le nombre le plus élevé de suicides en Europe. Donc, nous nous devons de donner un sens à notre vie, c’est notre mission. Je crois que toute les paroisses doivent se concentrer sur ce domaine. Les paroisses ne doivent pas rester des paroisses fermées, où il n’y a pas de place pour celui qui n’est pas des leurs. Nous devons opérer cette ouverture et embrasser tout le monde. Malheureusement, l’Orthodoxie souffre de l’ethnophylétisme. Je lisais un jour un très beau livre du Métropolite d’éternelle mémoire Emilianos Timiadis de Silyvrie, qui fut aussi prêtre à Anvers et à Bruxelles de 1952 à 1959. Le livre « Questionnements sur la Diaspora orthodoxe » y mentionne la notion très importante de « ghetto ». Cela signifie une société fermée qui ne reçoit et n’interagit pas avec d’autres éléments sociaux et culturels. Le ghetto est donc une société qui s’est enfermée sur elle et n’a pas d’avenir. Comment peux-tu donc vivre quelque part sans avoir de contacts avec la réalité où tu vis ? J’ai emprunté cette idée de ce livre et du Métropolite Emilianos Timiadis, homme d’une exceptionnelle expérience, lui qui fut Vicaire Général à Londres aux côtés du Métropolite Germanos Strinopoulos de Thyatire, premier Archevêque du Patriarcat Œcuménique en Europe Occidentale : tous deux des êtres avec une vision d’avenir, de perspectives. Et ces dernières sont nécessaires pour la réussite de notre mission dans la transmission du message qui n’est autre que l’apprentissage de la vie de l’Église Orthodoxe.
-Cette année est une année particulière. La pandémie a privé tous les chrétiens orthodoxes de la pratique et la participation aux diverses événements religieux. Comment sera fêté cette année l’anniversaire des 25 ans depuis la création de la paroisse de Bruges ?
-Ce qui s’est passé cette année me fait beaucoup de peine. Cela ne concerne pas uniquement le fait que nous ne puissions fêter directement les 25 ans de la paroisse de Bruges, mais aussi que les chrétiens ont été privés de la Sainte et Grande Semaine de la Passion, de la grande fête de la Résurrection et aussi de toute la période pascale. C’est entièrement inédit pour nous tous. C’est très difficile, car nous connaissons la valeur de cet acte naturel qui est de vivre et d’être actifs. Après tout cela, nous retournerons à l’église, complètement changé. Ayant vécu sa privation, maintenant nous comprendrons la véritable valeur de la vie liturgique. Le monde ressent le besoin de communier au Corps et au sang du Christ. Nous vivons de terribles moments, un grand nombre de personnes tombent malades et meurent. Nous avions aussi deux cas de prêtres de l’Archevêché qui sont tombés malades, mais heureusement ils sont maintenant en bonne santé .Quant aux 25 ans de la création de la paroisse de Bruges, il n’y aura aucune fête en raison de la pandémie, mais nous la célébrerons après la fin de celle-ci.
-Quelle est la raison du choix de la consécration de la paroisse aux Saints Constantin et Hélène ?
-Jeune déjà, j’avais un lien spirituel avec le Phanar, Constantinople et le Patriarche Œcuménique. C’était un immense désir de mon père de rencontrer le Patriarche Œcuménique Athénagoras, et cette rencontre nous a laissé de grands souvenirs. A l’époque, il n’était pas facile pour une famille de voyager par route de Belgique à Constantinople. Constantinople était alors une ville magique, avec des caractéristiques d’Orient, à l’inverse d’aujourd’hui où elle est une ville européenne. Ainsi, en raison de ce lien particulier de ma famille avec la Ville (Constantinople), mon père avait décidé de consacrer la paroisse de Gand à Saint André le Premier Appelé et fondateur de l’Église de Byzance. Je voulais moi aussi que la paroisse de Bruges ait une référence avec Constantinople. De plus, j’essayais de trouver des Saints qui puissent avoir leur fête au printemps, car la plupart de nos églises étaient dédiées aux Saints qui fêtaient de fin octobre à la Noël. Ainsi, j’ai choisi les Saints Constantin et Hélène qui fêtent le 21 mai pour vivre et jouir de cette joie ensemble au printemps.
-Parlez-nous de votre successeur dans la paroisse de Bruges, votre frère, le Père Bernard.
-Au début, j’étais archidiacre et au cours des neuf premiers mois, c’est mon père, feu le Révérend Archiprêtre Ignace, qui venait officier chaque samedi. Moi, je l’aidais en tant que diacre. Dès mon ordination, je pris en charge la paroisse. Les deux premières années, nous fonctionnions deux dimanches par mois, mais aussi à toutes les fêtes. Les autres dimanches, je célébrais dans le Limbourg. En 2003, je fus élu Évêque de Sinope, auxiliaire de mon prédécesseur, et il fallait trouver un successeur à la paroisse. Mon frère eut l’appel pour entrer dans le clergé. Alors, mon prédécesseur m’a demandé d’ordonner moi-même mon frère et c’est ce que j’ai fait. Je l’ai ordonné diacre et prêtre directement après mon ordination au rang d’évêque, et ainsi il prit en charge la paroisse de Bruges. Le Père Bernard est très énergique et possède un grand cœur plein de chaleur pour laisser de la place à tous. Il peut accueillir tout le monde et ainsi, il veille à la bonne évolution de la paroisse.
-Quel est votre message aux fidèles en ces temps difficiles que traverse l’humanité ?
-En premier, je souhaiterai remercier nos bons clercs qui comprirent les difficultés que nous vivons et le fait que nous ne pouvions ouvrir nos églises, que nous ne pouvions officier et communier au Corps et au Sang du Christ. La seule chose que je voudrais dire est le mot « patience », et ce mot a pour moi une grande importance car c’est après une terrible expérience, un sérieux accident de voiture il y a 35 ans, que je suis resté immobile pendant six mois sur un lit, sans bouger, sans me lever. Il m’a fallu ensuite un an et demi de revalidation, donc je sais ce que « patience » veut dire et je ne l’emploie pas comme un mot futile. Il nous en faut, en effet, de la patience pour dépasser l’épreuve que nous vivons.