Discours catéchistique en ouverture du Saint et Grand Carême (2021)
DISCOURS CATÉCHÉTIQUE
EN OUVERTURE DU SAINT ET GRAND CARÊME
† BARTHOLOMAIOS
PAR LA GRÂCE DE DIEU
ARCHEVÊQUE DE CONSTANTINOPLE – NOUVELLE ROME
ET PATRIARCHE ŒCUMÉNIQUE
QUE LA GRÂCE ET LA PAIX
DE NOTRE SEIGNEUR ET SAUVEUR JÉSUS CHRIST,
AINSI QUE NOTRE PRIÈRE, BÉNÉDICTION ET ABSOLUTION
SOIENT AVEC TOUT LE PLÉRÔME DE L’ÉGLISE
* * *
Très chers frères et enfants bénis dans le Seigneur,
Par la bienveillance et la grâce de Dieu dispensateur de tout bien, nous entrons en le saint et grand Carême, l’arène des épreuves ascétiques. Connaissant les dédales de l’âme humaine et le fil d’Ariane pour en sortir – c’est-à-dire l’humilité, la pénitence, la force de la prière et des saints offices émouvants, le jeûne mortifiant les passions, la patience, l’obéissance à la règle de la foi – l’Église nous invite, cette année encore, à marcher en Dieu ayant la Croix pour mesure et la Résurrection du Christ pour horizon.
En la mi-carême, la vénération de la Croix révèle le sens de toute cette période. La parole du Seigneur résonne et bouleverse : « Si quelqu’un veut venir à ma suite qu’il (…) prenne sa croix chaque jour, et qu’il me suive » (Lc 9, 23). Nous sommes appelés à prendre notre propre croix, en suivant le Seigneur, le regard tourné vers Sa Résurrection vivifiante, sachant pertinemment que c’est le Seigneur qui sauve et non pas notre geste. La Croix du Seigneur est « le jugement de notre jugement », le « jugement du monde », tout en étant la promesse que le mal, dans toutes ses manifestations, n’a pas le dernier mot dans l’histoire. Regardant le Christ en face et sous Sa protection d’agonothète, Qui bénit et affermit notre effort, nous menons le bon combat : « pressés de toute part, nous ne sommes pas écrasés ; dans des impasses, mais nous arrivons à passer ; pourchassés, mais non achevés » (II Co 4, 8-9). Voilà la quintessence existentielle durant aussi cette période de la croix et de la résurrection. Nous marchons vers la Résurrection à travers la Croix, qui « au monde a donné la joie ».
On se demanderait peut-être pourquoi en pleine pandémie, l’Église ajoute aux mesures sanitaires existantes une « quarantaine » supplémentaire, celle du grand Carême. En effet, le grand Carême est une « quarantaine », c’est-à-dire une période de quarante jours. Cependant, l’Église ne vient pas nous accabler davantage par de nouvelles obligations et interdictions. Au contraire, elle nous invite à donner un sens à la quarantaine que nous sommes en train de vivre, à cause du Covid-19, en plein grand Carême en tant que libération de notre confinement dans les choses de « ce monde ».
La lecture évangélique d’aujourd’hui pose les conditions de cette libération. La première, c’est le jeûne, non pas dans le sens de s’abstenir uniquement de certains aliments précis, mais de renoncer aux habitudes qui nous tiennent attachés au monde. Cette abstinence n’est pas une façon de dédaigner le monde, mais un présupposé nécessaire pour redéfinir notre relation au monde, vivre la joie unique de découvrir celui-ci en tant que domaine de témoignage chrétien. C’est pourquoi, dans l’épreuve du jeûne aussi, le fait de voir et de vivre la vie des croyants revêt un caractère pascal, un goût de Résurrection. Le « climat de carême » n’est pas dépressif, mais une ambiance de gaieté. C’est cette « grande joie » que l’ange annonça « pour tout le peuple » dans la Nativité du Seigneur (Lc 2, 10) ; c’est cette inaliénable « joie complète » (I Jn 1, 4) de la vie en Christ. Christ est toujours présent dans notre vie ; il est plus proche de nous que ne le sommes de nous-mêmes, tous les jours, « jusqu’à la fin des temps » (Mt 28, 20). La vie de l’Église est un témoignage indestructible de la Grâce venue et de l’espérance du Royaume, de la plénitude de la révélation du mystère de la Divine économie.
La foi est une réponse à la condescendance de Dieu plein d’amour pour l’humanité ; c’est le « Oui » de tout notre être à Celui « qui a incliné les cieux et qui est descendu », pour sauver le genre humain « de la servitude de l’ennemi » et pour nous ouvrir le chemin vers la divinisation par grâce. C’est du don de la Grâce que prend source et se nourrit l’amour sacrificiel envers le prochain et le « souci » pour la création tout entière. Faute de cet amour charitable et de la sollicitude agréable à Dieu envers la création, mon semblable devient « mon enfer » et la création est livrée à des puissances irrationelles qui la transforment en objet d’exploitation et en environnement hostile à l’homme.
La seconde condition à la libération que le grand Carême promet, c’est le pardon. Oublier la miséricorde divine et l’ineffable bienfaisance, transgresser le commandement du Seigneur de devenir « le sel de la terre » et « la lumière du monde » (Mt 5, 13-14), altérer le vécu chrétien, c’est de la « spiritualité fermée » qui vit par la négation et le rejet d’« autrui » et du monde, qui mortifie l’amour, le pardon et l’acceptation de du différent. C’est cette attitude de vie stérile et arrogante que déplore la parole évangélique au cours des trois premiers dimanches du Triode.
Nul n’ignore que de telles extravagances présentent une recrudescence particulièrement dans les périodes au cours desquelles l’Église appelle les fidèles à un exercice et une vigilance spirituels. Cependant, la véritable vie spirituelle est une voie intérieure de renaissance, une sortie de soi, un élan d’amour envers le prochain. Elle n’est pas fondée sur des syndromes de pureté et d’exclusions, mais sur le pardon et le discernement, sur l’action de grâce et le remerciement, conformément à la sagesse empirique de la tradition ascétique : « Ce ne sont pas les aliments qui sont mauvais, mais la gloutonnerie (…), ni la parole, mais les vains discours (…), ni le monde, mais les passions ».
Dans cette disposition et animés de ces sentiments, unissant nos prières aux vôtres, mes bien-aimés, pour surmonter définitivement cette pandémie meurtrière et pour remédier ses conséquences sociales et économiques, demandant vos prières et supplications pour la réouverture de l’École théologique de Halki, après cinquante ans de silence injustement imposé, nous accueillons en Église le saint et grand Carême, chantant unanimement : « Dieu est avec nous », à Qui appartiennent la gloire et la puissance dans les siècles des siècles. Amen !
Saint et Grand Carême 2021
† Bartholomaios de Constantinople
fervent intercesseur devant Dieu de vous tous