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COMPTE RENDU DE LA CONFERENCE DU PROFESSEUR DE PHILOSOPHIE DR. CHRISTOS YANNARAS

Il y a deux ans que démarrait au sein de l’Archevêché une initiative visant à offrir un espace de parole, d’écoute et de dialogues à toute personne qui le désirait. Ainsi, le dernier jeudi de chaque mois, se tenait ce qu’on avait appelé « les Jeudi du Musée de l’Eglise Orthodoxe » : rencontres conviviales autour d’un sujet, avec débat contradictoire.
Dans un souci de continuité, la Sainte Métropole élargit le concept et le transforme en Cycle de Conférences « Paroles orthodoxes ». L’objectif est de s’adresser à une plus grande assemblée, d’échanger sur des thèmes d’actualité, de réfléchir sur notre Foi et de faire connaître l’Orthodoxie aux personnes de bonne volonté. En collaboration avec Diavlos, association de fonctionnaires du Parlement européen, les « Paroles Orthodoxes » s’ouvrent au monde ! Objectif : 3 conférences majeures par an.

Le mardi 24 mai 2016, dans la salle « La Bergerie « de la Fraternité du Bon Pasteur, le Cycle de Conférences « Paroles Orthodoxes » inaugurait sa première conférence majeure de 2016 en invitant le Professeur Emérite Christos Yannaras.
Devant une assemblée d’environ 70 personnes, le Professeur s’est livré à un exercice de réflexion autour d’une question fondamentale, à savoir si le salut pouvait se comprendre comme un phénomène personnel ou ecclésial.
Doit-on encore présenter M. Yannaras ? De renommée mondiale, Monsieur Yannaras est professeur de Philosophie à l’Université Panteion des Sciences Sociales et Politiques d’Athènes. Il a étudié la Théologie à l’Université d’Athènes et la Philosophie à l’Université de Bonn (Allemagne) et à Paris. Il est Docteur en Philosophie (Ph.D) de la Faculté de Théologie de l’Université Aristote de Thessalonique (Grèce). Il est aussi Docteur en Philosophie (Ph.D) de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de l’Université de la Sorbonne (Paris). Il a été nommé Docteur honoris causa de Philosophie à l’Université de Belgrade. Il est professeur invité dans les universités de Paris (la Faculté catholique), de Genève, de Lausanne et de Crète. Il fut élu membre de la Société des Auteurs Helléniques. Auteur de nombreux livres, parmi lesquels citons

• La Foi vivante de l’Église, introduction à la théologie orthodoxe, éd. du Cerf, (ISBN 2-20403-160-7)
• De l’absence et de l’inconnaissance de Dieu d’après les écrits aréopagitiques et Martin Heidegger, éd. du Cerf
• La Liberté de la Morale », éd. Labor et Fides-Perspective Orthodoxe, 1982
• Variations sur le Cantique des Cantiques »,Essai sur l’Eros, éd. Desclée de Brouwer, Théophanie,1992

Monsieur Yannaras a débuté son intervention par le sens du mot « salut » pour notre réalité quotidienne. Force nous est de constater que cette réalité est une réalité de crise, de crise du paradigme culturel. En fait, il nous est nécessaire d’approfondir le phénomène, et d’oser découvrir que cela est encore plus profond qu’on ne le pense : on a perdu notre orientation, on a perdu le sens de notre existence.
On peut parler de crise, continuera M. Yannaras, quand on se réfère à de l’économie. Et si on parle de crise, c’est que l’économie est devenue une entité particulière par rapport à la vie humaine. L’individu est devenu le centre de notre vie et de notre organisation personnelle.
Et le professeur d’insister sur la notion de l’individualisme qui a envahi notre culture. Rien ne nous empêchait de choisir d’autres paradigmes ; en tant que société, nous aurions pu faire un autre choix. Comme par exemple celui de la vie ecclésiale, de la vie en communion. Le modèle individualiste s’est imposé car il donne toute l’importance, il met l’accent, il se concentre sur l’utilitaire. Et on est loin de pouvoir répondre avec l’individualisme à la cause et au but de notre existence.
Il nous faut rechercher les racines historiques de cette crise d’aujourd’hui et quelle pourrait être la réponse suffisante pour éclairer un autre but, un autre objectif, qui aurait comme résultat la reconstitution d’une communion de vie.

L’orateur essayera par la suite de donner quelques pistes pour cette recherche. L’étymologie du mot « salut », en grec « Σωτηρία » du verbe « σώζομαι », qui signifie « j’arrive à la plénitude de mon existence ». Pour ce faire, il faut un paradigme : « le plénitude de l’existence, c’est la communion de l’être ». La cause première de l’être, ce n’est pas un être individuel, mais un Dieu trinitaire. C’est quelqu’un qui librement choisit d’exister, pas au niveau individuel, mais réellement. Il est libre parce qu’il aime. La cause première de l’existence, c’est quelqu’un qui choisit d’être. Dieu est amour, il ne se comporte pas avec amour, il est amour ! La cause première de l’existence, c’est la liberté de l’amour.
On fait une distinction entre la cause première incréée qui existe librement parce qu’elle aime et le produit de cet amour qui est la création. On distingue l’incréé et le créé. Le créé – notre existence humaine – est le produit de la liberté d’amour du Père. Mais le mode du créé est limité, tandis que celui de l’incréé est sans limite, avec une liberté absolue de l’amour.
Et ce qui nous est demandé, dans notre tentative d’imiter l’incréé, c’est de pratiquer l’ascèse. La religion comprend de la dogmatique, de la morale et un culte. La morale n’est pas de l’ascèse. La morale a un caractère toujours individuel. L’homme doit exercer la liberté qui lui est donnée par cette pratique qu’on nomme ascèse, c’est-à-dire effectuer un effort pour transformer tous ses besoins, tous ses projets, afin d’atteindre la communion de vie avec les autres.

Donc dans l’Eglise, tout ce qui est individuel représente la mort, la limitation de l’existence. Tout ce qui est amour et communion de vie, c’est la réalité.
Dans la parabole du Publicain et du Pharisien, le Pharisien est le type religieux par excellence, avec un Ego fortifié à l’excès. Le Publicain, lui n’a absolument aucune confiance dans son Ego, il a le sentiment d’avoir échoué. Et pourtant, le but de notre ascèse, c’est de ressembler au Publicain.
Le constat du Professeur Yannaras est de dire qu’aujourd’hui, tout cela est oublié, car nous sommes influencés par le paradigme égocentrique individualiste qui règne en maître dans notre culture.
Si nous enlevons la notion de droit individuel de notre mode de vie d’aujourd’hui, il ne reste rien. Ce principe de droit individuel est un principe qui détermine chacune de nos actions : droit de choisir notre journal, de voter qui on veut, d’acheter ce qu’on veut… L’image la plus caractéristique du monde où nous vivons est le supermarché ! Choix libre, … mais liberté falsifiée, car choix pré-conditionné par la publicité, etc.

Le professeur devait ensuite clôturer ses réflexions en invitant l’assemblée à réfléchir sur comment combiner, comment marier la manière de vivre de ce monde qui met l’accent sur l’individualité et le besoin de chrétien d’être membre de l’Eglise (εκκλησία – assemblée de personnes) afin d’arriver au salut ? Comment concilier le besoin actuel et imposé par la société d’individualisme avec la vie en Eglise, qui elle présuppose la vie en communion ?
L’échange qui s’ensuivit fut à la hauteur de l’intérêt du public venu écouter cette personnalité intarissable et tellement enrichissante. Merci Monsieur le Professeur !


Compte rendu
Père Evangelos Psallas,
Protopresbytre du Trône Oecuménique