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Actualité

Conférence donnée par le Hiéromoine Théophile du monastère Athonithe à Gand

L’avenir du Christianisme dans la société contemporaine séculaire

 

Le lundi 4 Octobre à 19h00, a eu lieu la conférence avec titre « L’avenir du christianisme dans la société contemporaine séculaire ». Conférencier était le Hiéromoine Théophile du monastère Athonithe de Pantokrator.

 Veuillez trouver le texte de la conférence ci-dessous :  

 

Monseigneur, cher père Dominique, chers amis, frères et sœurs

En relisant l’intitulé de cette petite causerie : « L’avenir du Christianisme dans la société contemporaine séculaire », je n’ai pas pu m’empêcher de sourire pour plusieurs raisons. La première, biblique, est que la divination est formellement interdite par Dieu et que l’exemple du roi Saül, devenu gravement fou après avoir consulté une sorcière, me fait craindre pour mon propre avenir. J’ai commis suffisamment de péchés et je ne tiens pas à ajouter celui-là à une liste déjà longue. Autrement dit, je ne suis pas Madame Soleil. La seconde raison vient de ce que ce sujet a été travaillé avec beaucoup de sérieux et d’érudition par de vrais savants et des théologiens très compétents, et que j’hésite à ajouter au flot de paroles qui circule sur le sujet. La troisième et dernière raison est fort simple : je suis un moine du Mont-Athos depuis 26 ans. Je connais un peu le Christ, un peu moins le Christianisme, encore moins l’Occident, sans parler du Christianisme en Occident que je connais par certaines sources mais sans doute aussi par des clichés insuffisants.

Après une telle introduction, vous vous demandez peut-être ce que je vais pouvoir raconter ? Je vous en prie, ne partez pas. Je n’ai pas terminé. Avant de faire des hypothèses sur l’avenir, je voudrais vous parler du présent, et un peu du passé.

« Le monde contemporain », aujourd’hui, est une notion bien vague. Distinctions d’autrefois entre « orient » et « occident » sont relatives. On me dit qu’en Afrique, les familles passent aujourd’hui leurs soirées devant la télévision. Dans le désert, les Touaregs font passer leurs chameaux par des voies où les téléphones peuvent trouver du réseau. Les esquimaux créent leurs propres séries. Je connais même un moine de l’Athos, Kyrie Eleison, qui regarde de temps en temps des opéras sur Youtube. Alors nous devons admettre que la culture occidentale se répand dans le monde où elle est souvent imposée de force politiquement, mais parfois aussi espérée par les peuples qui attendent la démocratie ou moins noblement la 5G. Tout cela fonctionne ensemble. Ce qui me frappe, vu de mon Monastère, c’est le sentiment que le sort des peuples est de plus en plus lié. Pour le meilleur et pour le pire. C’est un fait dont nous pouvons nous réjouir ou nous désoler, mais c’est un fait ; et il est inutile de pleurer sur les ruines de Jérusalem.

Ce qui me frappe, en entendant nos visiteurs, à l’Athos, ce n’est pas le déclin ou le péché du monde contemporain, c’est l’absurde auquel sont condamnés beaucoup de jeunes et de moins jeunes. Tout semble si fluide, si instable ! Comment donner sa foi à un autre ? Comment donner sa foi à une institution ? Peut-on penser sa vie sur le long terme ? Combien de couples se forment pour « faire un bout de chemin ensemble », comme on dit, et combien d’enfants connaissent la souffrance de la séparation ? La modernité ne veut pas hériter du passé. Elle ne croit plus à un futur merveilleux. Il reste des instants présents dont on essaye de profiter mais qui sont la copie inverse de la joie du ciel, car l’instant d’après, c’est peut-être la mort. La mort ! Au risque de vous choquer, je crois que dans ce constat terrible qui aboutit à la mort se cache précisément la réponse à notre question.

L’Occident, en cela profondément influencé par le Judaïsme et la Grèce, a développé au cours de son histoire une conscience très vive du tragique de la vie humaine. On le lit dans l’Orestie, la première pièce de théâtre qui soit parvenue jusqu’à nous ! On le voit dans la littérature antique avec la puissance inouïe qu’ont les textes archaïques. Le tragique, vous le savez, c’est quand ça finit mal. Avec la Bible, un changement capital s’introduit. Le tragique n’a pas le dernier mot car Dieu a créé l’homme et la femme libres, à son image. Ils sont responsables de leur propre destin. S’ils choisissent le mal, ils créent leur propre tragédie. S’ils optent pour le bien, ils sont les acteurs d’un drame où ils retrouvent la ressemblance avec Dieu. Par sa Croix, notre Sauveur a embrassé dans sa totalité le drame de la condition humaine et l’a assumé jusqu’au tragique : lui, le seul agneau innocent, il est mort par la main des coupables. Mais il est ressuscité et il offre la vie à tous ceux qui gisent dans les ténèbres et l’ombre de la mort. Notre foi n’existe que dans cette polarité : la descente du Christ aux enfers et sa résurrection d’entre les morts. C’est la parole qui fut révélée à saint Silouane : « garde ton esprit dans l’enfer et ne te désespère pas ».

Nous autres, Orthodoxes, nous aimons chanter après la communion : « nous avons vu la vraie lumière ! ». Quelle joie d’avoir reçu cette lumière ! Mais je crains que parfois nous oublions que cette lumière luit dans les ténèbres (Jean 1) et que c’est dans les ténèbres de ce monde que notre regard doit la refléter. Autrement dit, le Christianisme en général, et l’Orthodoxie en particulier, ne peut pas devenir une religion-ghetto qui espère la fin des temps barbares. Spirituellement, l’Occident, c’est nous. Picasso disait à ses élèves qui essayaient d’être à la mode : « n’essayez pas d’être modernes, vous l’êtes déjà ! ». Nous sommes occidentaux et nous ne pouvons pas nous considérer comme un petit reste préservé. D’abord parce que nous sommes les enfants de notre époque, et ensuite parce que comme chrétiens nous voulons nous faire entièrement solidaires des hommes et des femmes de notre temps, y compris en portant leur péché comme le Christ. Lui, l’innocent, a souffert pour les coupables. Alors nous n’avons pas le droit de nous écarter comme le prêtre et le lévite devant l’homme que les brigands avaient roué de coups. Même si cet homme s’était roué de coups lui-même ou même s’il l’avait bien mérité. Spirituellement, le Christianisme en Occident n’aura de poids que si chacun de nous prend conscience qu’il porte en lui son propre enfer, sa propre mort, et que dans cette obscurité totale le Christ lui prend la main, l’illumine, lui sourit, le serre dans ses bras. Le Christianisme est une civilisation, mais il repose sur une expérience personnelle et communautaire. Nous l’avons vécue durant la liturgie : la mort et la résurrection du Christ. Et nous sommes appelés à vivre cette expérience en regardant nos vies honnêtement : en tenant notre âme en enfer et en ne désespérant pas. Sinon, notre parole ne vaudra rien. Ni même notre vie. Nous serons ce troupeau que la mort mène paître et dont parle le Psaume.

A partir de cette expérience de foi chrétienne, il peut renaître un Christianisme dont nous ne connaissons pas encore les contours. Ce qui est certain, c’est que notre monde essaye de comprendre ce qu’il est. Il le fait par la presse, par la musique, par les films. A chaque fois, il s’agit d’une narration qui essaye de rendre compte de ce qui est, de ce qui s’est passé, de ce qui aurait pu être. L’homme n’existe qu’à travers une histoire qu’on lui raconte et dans laquelle il s’intègre pour inventer sa propre histoire. La Bible est un livre d’histoires où nous comprenons que la nôtre aussi est intéressante. Mais la Bible aujourd’hui n’est plus lue. Ni les tragiques grecs. Les gens écoutent la radio et regardent Internet. Cette histoire du salut, si nous en avons fait l’expérience, c’est notre devoir de la partager, selon nos talents. Le Christianisme en Occident est mourant, à vue humaine, même si Dieu a des pensées plus hautes que nos pensées. Mais il ne tient qu’à nous d’être vivants, c’est-à-dire relevés d’entre les morts par une authentique confession de nos péchés et l’expérience de la résurrection qui vient du pardon de Dieu. Dès lors, les chrétiens peuvent apporter une histoire extraordinaire, mais vraie : la leur. Pendant la pandémie, nous avons vu l’incapacité de notre monde à faire face au tragique et à la mort. Les gens manifestaient dans la rue parce qu’un virus tuait ! C’était la première fois dans l’histoire du monde. Cette inaptitude au tragique est compréhensible. Sans la résurrection, il est impossible d’accepter la mort. Je serais heureux de voir des chrétiens orthodoxes plus nombreux engagés dans le monde universitaire, dans la presse, le cinéma, la radio pour vivre le mystère de leur foi et, selon leur génie, trouver le langage qui permette de la traduire, humblement. Ce qui vaut pour ces professions vaut pour toutes les autres. Si notre foi pénètre nos centres d’intérêt les plus forts, alors elle sera capable de construire un milieu propice à la vie. C’est ainsi que naissent les civilisations, c’est ainsi que le Christianisme, comme civilisation, peut se transformer. Il ne le fera que si nous changeons et ouvrons le cercle pour que les autres aussi puissent voir la vraie lumière !

Aujourd’hui, quand la terre entière est pleine d’incertitudes, les gens désespérés, quand la violence menace d’anéantir toute vie, nous devons essayer de vivre notre foi et de faire entendre nos voix. Dans le danger présent, les mots polis qui ne mènent nulle part n’atteignent pas. C’est un besoin vital pour nous tous aujourd’hui d’établir la foi dans la victoire éternelle du Christ, afin que nous puissions devenir nous-mêmes spirituellement invincibles. C’est à nous de nous rappeler par exemple que nous sommes nés de nouveau d’en haut dans les fonts du baptême, au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. Ceux qui ont été baptisés « dans le Saint-Esprit et dans le feu » (Luc 3 :16) discernent dans leur prière que chaque instant de notre vie est enregistré dans l’éternité divine. A chaque instant et dans chaque lieu, nous sommes menés par la main invisible de notre Père céleste.

  Il est impossible à l’homme dans sa vie d’accomplir quoi que ce soit, même une seule bonne action, sans la grâce du Saint-Esprit. Et tout d’abord, il ne peut ni se contrôler ni maîtriser ses passions pécheresses, ni échapper aux terribles pièges du diable, à moins qu’il ne soit d’abord muré par la grâce du Saint-Esprit et qu’il fasse habiter le Christ dans son âme.

Ayez du discernement à l’égard de l’enseignement que vous avez acquis dans le monde. La culture dans laquelle nous vivons est une culture de déclin. La vie du monde s’organise autour de quelques passions humaines et la vie spirituelle est en marge. Nous devons inverser cet état de fait, placer la vie spirituelle au cœur de nos vies. La sagesse de ce monde ne peut pas sauver le monde. Les parlements, les gouvernements, les organismes complexes des États modernes les plus développés de la terre sont impuissants. L’humanité souffre sans fin. La seule issue est de trouver en nous la sagesse, la solution, non pas pour vivre pour nous même, pour notre petit ego, mais pour suivre le Christ. Ce n’est que lorsque nous acceptons le Christ comme un Dieu parfait et un homme parfait que la pleine expérience spirituelle, telle que décrite par les apôtres et les pères, devient possible.  Nous sentons notre maladie, la puissance mortelle du péché agit en nous et nous cherchons un médecin. Il guérit nos âmes de toute maladie en leur donnant une nouvelle activité et en les illuminant d’une lumière inépuisable.

Depuis les temps anciens, l’expérience de la vie de l’Église a prouvé sans aucun doute que pour la prière – c’est-à-dire pour Dieu – aucune maladie de l’esprit n’est incurable. Dieu a jeté la flamme divine sur la terre et nous Le prions d’allumer nos âmes afin que nous ne soyons pas submergés par le froid cosmique et qu’aucun nuage noir ne fasse de l’ombre à cette flamme glorieuse.

Je conclus mes brèves réflexions par les constatations suivantes :
a) Le monde, c’est nous. Nous ne sommes pas quelque chose de séparé du monde. Nous faisons partie de ce monde. Nous vivons la tragédie de ce monde. Nous vivons ainsi dans la tragédie de la sécularisation, d’un monde loin de Dieu. Nous sommes aussi éloignés de Dieu.
b) Le christianisme en dernière analyse, c’est le Christ lui-même, le corps du Christ, c’est la résurrection, la réponse à la mort, la résolution de la tragédie, l’éternité, la sortie des impasses.
c) La question cruciale est de savoir dans quelle mesure nous sommes chrétiens, dans quelle mesure nous sommes unis au Christ. Tant que nous vivons comme chrétiens, nous avons un avenir. Dans la mesure où nos vies sont empreintes de résurrection, d’espérance dans l’éternité, de lumière du Christ et d’humilité il y a de l’espérance. Dans cette mesure, notre question initiale qui était celle du christianisme dans un monde sécularisé peut devenir celle de l’avenir d’un monde sécularisé qui rencontre le christianisme. Nous ne pouvons pas être spectateurs, ni juges, mais des témoins qui communiquent la vie qu’ils ont reçu eux par grâce.

Merci.